« La façon dont on nous parle des problèmes économiques, sociaux et même politiques nous laisse peu de chances de comprendre ce que l’on veut nous dire. Et encore moins les phénomènes qui nous blessent.
L’invention d’une néo-novlangue est passée par là. Pourquoi nous répète-t-on à l’infini que le chômage est inadmissible pour finir par le laisser persister ? Pourquoi dit-on que le travail est notre avenir alors qu’on se garde, depuis longtemps, de le valoriser ? Pourquoi a-t-on, du moins en Europe, renoncé à utiliser tous les instruments de la politique économique pour se cantonner aux politiques dites structurelles, dont on finit par comprendre que leur objectif est de réduire la protection sociale ? Pourquoi accepte-t-on de voir croître démesurément les inégalités alors que l’on dit vouloir les combattre ?
La langue que nous utilisons, à force d’être contournée, a transformé la réalité à laquelle nous sommes confrontés, jusqu’au déni de la souffrance. Elle est davantage manipulée par la doctrine qu’elle ne s’en sert. Il faut, si l’on veut revenir à une vision moins irénique, ou fataliste, du monde, déconstruire la novlangue pour reconstruire un langage dans lequel chacun se reconnaisse. Ce n’est qu’à cette condition que l’on pourra vraiment agir sur le monde et sur le destin des populations.
Ce n’est qu’à cette condition que l’on pourra déjouer le piège politique que nous tend la novlangue et retrouver le chemin d’une démocratie moins fragile que celle qui nous enjoint à la résignation. » J.-P. Fitoussi