Mille et une nuits
On leur demande de soigner vite, bien, avec les dernières techniques et les dernières molécules, mais au moindre coût ; on leur demande d'être nuit et jour, toute la semaine et le dimanche sur le pied de guerre, à l'hôpital ou dans leur cabinet de campagne ; on leur demande de surveiller leurs prescriptions, de se plier aux contrôles. On leur demande de répondre de leurs actes devant la justice et le risque zéro. On leur demande de penser désormais en gestionnaires... On leur demande de tout faire pour sauver les vies et on leur demande d'abréger les souffrances de cas désespérés... Ils n'ont pas le droit à l'erreur.
Depuis quelques années, leur dévouement est malmené par un feu roulant d'attaques : le trou de la Sécu, ce serait de leur faute, tout comme l'ensemble des dysfonctionnements du système. On sait bien la portée de ces attaques sur les patients. Mais qui ose écrire leur effet démoralisateur sur toute une profession ? Faut-il vraiment crier haro sur les praticiens qui assistent, dans un profond désarroi, à l'agonie du système de santé ?
La société, c'est-à-dire vous et moi, leur en demande toujours plus, en leur accordant de moins en moins de reconnaissance pour l'accomplissement de leur tâche. Nous conduisons lentement mais sûrement les médecins à un épuisement moral qui a déjà ses répercussions taboues : ils sont de plus en plus nombreux à craquer, chaque jour, sous le poids de la pression sociale, administrative, judiciaire et financière. Qui nous soignera si les médecins eux-mêmes sont malades ?
Olivia Benhamou a enquêté sur la difficile condition de médecin en France. Elle a interrogé nombre de praticiens, du généraliste de campagne au réanimateur en néonatalogie, des responsables de soins palliatifs aux internes d'un service d'urgences. Elle confronte leurs témoignages au dossier de la santé publique et dresse ainsi un tableau alarmant de l'exercice de la médecine aujourd'hui.