«Je suis radine mais j'aimerais ne pas l'être. La première
victime de ma radinerie, c'est moi.
En effet je crois que vivre c'est dépenser, jouir, donner
sans compter. Surtout, ne pas compter.
Je peux me mettre en colère contre moi. Je peux réagir
contre. Il n'en reste pas moins : mon premier instinct,
c'est d'être radine.
Je finirai comme grand-maman : invitant les autres,
payant avec mon fric laborieusement économisé. Je
serai la femme-qui-paie-plus-vite-que-son-ombre, mais je
resterai la radine : celle qui calcule.
Parfois je me demande si c'est par radinerie aussi
que j'écris. Pour que rien ne se perde. Pour recycler,
rentabiliser tout ce qui m'arrive. Pour amasser mon passé,
le constituer en réserve sonnante et trébuchante. Pour y
entrer comme dans une salle au trésor et contempler mes
pièces d'or. Pour investir et faire fructifier mon capital de
sensations et de douleurs.»