Ce volume se positionne au cœur d'un débat : la compréhension des émotions relève-t-elle des seules sciences cognitives ? Si les neurosciences semblent avoir conquis l'espace public, il s'agit d'affirmer l'importance d'une approche historique, sociale et culturelle du ressenti, de critiquer certains usages sociaux des neurosciences et d'ouvrir les possibilités d'un dialogue.
Quiconque s'intéresse à la vie des émotions se heurte à un mur d'apparence infranchissable : celui qui sépare les recherches des neurosciences affectives de celles des sciences sociales. À voir cependant fleurir les rayons " neurosciences " dans nos librairies, le caractère " rassurant " des sciences du cerveau semble avoir déjà conquis l'espace public : elles font des émotions une réponse naturelle et universelle fixée par l'organisme. Mais cette centralité médiatique masque parfois d'inquiétants usages qui s'insinuent jusqu'au creux de nos existences quotidiennes. C'est pourquoi ce numéro invite à une critique sociale et politique véritable comme à la réaffirmation d'une approche historique et culturelle des émotions. Cessons de croire, qui plus est, que leur savoir, aux résultats soi-disant imparables, serait plus solide que les connaissances des sciences humaines et sociales.
Mais qu'on s'entende bien toutefois : l'intéressant n'est pas de produire un énième discours de délégitimation mais d'ouvrir un espace de discussion véritable. Si les neurosciences, en excluant l'historicité des émotions comme du langage qui les expriment, mutilent la complexité de cet objet, il y aurait un risque évident à évacuer de l'analyse le substrat biologique et neuronal de l'émotion. D'autant qu'un espace de convergences s'esquisse aujourd'hui : il faudrait non seulement ne plus dissocier le psychologique du sociologique, mais montrer comment s'imbriquent chez l'individu le processus biologique de maturation et celui, social, de l'apprentissage.
Qui sait ? Par-delà incompréhensions et désaccords, le temps est peut-être venu de réfléchir à nouveaux frais, loin des logiques marchandes, des pédagogies univoques ou des manipulations politiques, aux infinies possibilités d'enrichissement de notre vie sensible et affective.