Riche de 320 lettres, la correspondance entre Auguste Rodin (1840-1917) et Antoine Bourdelle (1861-1929) couvre quelque vingt années. Vingt années de création, vingt années d'amitié qui voient, de 1893 à 1912, les deux artistes échanger autour de l'art et de la vie. Aux premiers envois qui trahissent des rapports hiérarchiques et déférents, s'ensuivent rapidement des lettres plus enlevées où sourdent la sympathie et la complicité. Au praticien Bourdelle et au maître « Monsieur Rodin » succèdent de « chers amis », pleins d'une admiration réciproque que la gloire et ses rançons n'altéreront jamais. Sous la plume des deux artistes, défilent les années et les questions, les doutes et les craintes. On y parle de la taille des marbres, on y dit la peur de ne pouvoir tenir les délais, on y écrit les succès. Ici l'argent qui ne vient pas, les comptes que l'on règle, le conseil esthétique, là les joies que l'on partage.
De la prose du quotidien à la poésie de l'éternel, ces lettres effleurent la condition artistique et la condition humaine, celles de deux grands créateurs décidés à liquider les affaires courantes et à régénérer leur siècle. Entre les lignes ou au pied de la lettre, c'est l'histoire de l'art qui se lit et s'écrit, c'est l'histoire, enfin, de deux hommes décidés à s'aider et à collaborer, coûte que coûte. En 1907, Bourdelle l'écrit à Rodin à sa manière : « Ma volonté est avant tout d'amoindrir de toutes mes forces l'immense travail que vous menez... »