Dans la conception chinoise antique de l'existence humaine, la substance concrète du corps humain mais aussi celle de toute vie, voire de toute chose, repose sur les cinq Saveurs et l'eau. Si donc dans cette perspective la notion de forme corporelle s'associe à celle d'une relative stabilité de masse et de contours qui s'oppose à la notion dynamique d'énergie, par nature instable, elle n'est en aucun cas assimilable à ce que nous nommons "matière".
Dans la vie éprouvée, la vie qui "fonctionne" (YONG), il n'existe pour eux aucune séparation radicale entre la Saveur au moment où elle se déploie et la forme qui en exprime spatialement la manifestation diversifiée et structurée par les fonctions rythmiques du Souffle-énergie.
Mais il y a plus : goûter, c'est identifier l'intimité d'une forme comestible au point de lui assurer simultanément un passage vers sa propre forme. Goûter, c'est se goûter goûtant le tout-autre qui devient soi comme "forme" et corps. A aucun moment cette perception du goût ne sera séparable dans la démarche chinoise de celle de la forme, de toute forme et de la sienne propre. Le goût est en quelque sorte la "doublure" du tact puisqu'il en suscite la trame de référence (la chair) et en tisse les contours sensibles et sentants (la peau). Les cinq Saveurs et l'eau sont les repères ultimes de toute forme prise, de tout remplissage, de toute substance. Représentant des ponts naturels entre le qualitatif (savourer) et le quantitatif (mesurer, peser les formes), on ne peut en aucun cas en faire des équivalents de la matière au sens du "ulé" grec.
Ce livre n'est donc pas un ouvrage de diététique mais propose une réflexion approfondie sur le corps et l'aliment en des termes neufs pour la pensée contemporaine. Il offre un "vocabulaire" dynamique et détaillé décrivant les différents rôles des principaux aliments sur le terrain individuel. Il invite à une investigation sur la valeur et le rôle modulé de l'eau et des Saveurs dans la constitution et la circulation du territoire corporel.