On parle tant de la qualité des vins en France. Mais comment interpréter
le fait que si peu de gens la perçoivent ? Cette qualité existe-t-elle ? Est-elle
un mythe, une illusion ? Faut-il au contraire penser que c'est le
manque d'information, d'éducation, de formation du goût qui est à l'origine
du défaut de perception de la qualité ?
Ces deux interprétations sont courantes et soutiennent l'affrontement entre
ceux qui affirment l'existence d'un marché des vins de qualité et ceux qui
la nient, dénonçant une fausse hiérarchisation des vins ne reposant que sur
le snobisme de certains buveurs, ou même souhaitent ou agissent au nom
de la libre concurrence par exemple pour qu'il disparaisse.
Plutôt que de s'engager dans cette controverse, en cherchant à pointer
après tant d'autres le «véritable» lieu de la différence entre les vins de
qualité, dans le vin lui-même, dans le social ou dans l'imaginaire, ce livre
cherche à rendre compte de l'activité que déploient les acteurs pour faire
exister ce marché, en s'appuyant sur des ressources très diverses...
Il insiste tout particulièrement sur le rôle actif et fondamental d'acteurs
souvent négligés de ce marché : les critiques vinicoles. Grâce à un très
lourd travail de dégustation et de jugement, ces derniers qualifient les vins ;
puis en les comparant, ils produisent des différences qu'ils parviennent
parfois à hiérarchiser. Mais pour qu'un marché de ces vins puisse exister,
ils doivent encore faire partager ces jugements par des acheteurs. Les
critiques ne sont pas que des juges, ils sont aussi prosélytes. Tous
commencent par informer les acheteurs en publiant le résultat de leurs
dégustations. Certains ne s'en contentent pas et proposent alors à leurs
lecteurs quantité de ressources pour vaincre les freins qui, selon eux, les
empêchent de ressentir la qualité des vins : perception faussée, influencée,
mauvais goûts incorporés, inexpérience...
Grâce à eux, les buveurs qui le souhaitent peuvent tenter de modifier leur
relation au vin et se retrouvent alors enrôlés dans le travail de différenciation
qualitative des vins comme amateurs, mais aussi comme clients.
Finalement, cet ouvrage montre un espace marchand dans lequel l'action
collectivement orientée vers la différenciation d'une qualité objective,
indépendante des consommateurs, de leurs goûts et préférences, loin de les
laisser démunis, aboutit paradoxalement à accroître la diversité avec
laquelle les consommateurs eux-mêmes trouvent leur façon d'aimer le vin.