Le biopouvoir que Michel Foucault s'est si puissamment attaché à décrire
n'est plus ce qui trame notre époque : l'enjeu est désormais le psychopouvoir,
où il s'agit moins d'«utiliser la population» pour la production que de la constituer
en marchés pour la consommation.
Foucault décrit la genèse de l'État s'acheminant vers la révolution industrielle
avec la conquête du pouvoir par la bourgeoisie et les conditions de formation
du capitalisme typique du XIXe siècle, tel que l'aura analysé Marx, où la première
préoccupation est la production. Or, la seconde moitié du XXe siècle rencontre
de tout autres questions : il s'agit d'organiser la révolution des modes d'existence
humains, voire leur liquidation, comme modes de consommation éliminant les
savoir-vivre dans ce qui devient une économie industrielle de services dont
les industries de programmes sont la base. La science de cette nouvelle mobilisation
totale est moins la cybernétique, comme le croyait Heidegger, que
le marketing.
Le psychopouvoir apparaît de nos jours pour ce qu'il est : ce qui fait des
enfants les prescripteurs de leurs parents, et de ces parents, de grands enfants
- le marketing détruisant ainsi tout système de soin et, en particulier, les circuits
intergénérationnels. Il en résulte une destruction systématique de l'appareil
psychique juvénile.
Les psychotechnologies monopolisées par le psychopouvoir sont des cas
de ce que Platon, critiquant l'usage de l'écriture par les sophistes, appelait un
pharmakon : un poison qui peut aussi être un remède. Au début du XXIe siècle,
la reconstitution d'un système de soin exige de renverser la logique du psychopouvoir
pour mettre en oeuvre une politique de l'esprit. Cela requiert l'élaboration
d'une pharmacologie qui analyse les caractéristiques des psychotechnologies
contemporaines et d'une thérapeutique qui les mette au service d'un nouveau
système de soin.