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René Ghil fut autour de 1890 le plus soudainement célèbre, le plus
admiré, le plus contesté, le plus violemment haï, puis le plus injustement
oublié des auteurs de la génération symboliste : précisément parce qu'il
s'avéra l'adversaire le plus irréductible du Symbolisme. Il rompit très tôt
avec Mallarmé sur la question de l'Idéalisme, auquel il opposait une vaste
métaphysique de la Matière en évolution vers un «Mieux», inspirée
des cosmogonies orientales autant que de la science occidentale
contemporaine (Darwin). Sa théorie de l'«Instrumentation verbale»,
basée sur un sensualisme linguistique inspiré des théories sur le
langage de Rousseau et des recherches récentes en acoustique et en
phonétique expérimentales (Helmholtz), eut un impact considérable :
des futuristes russes et italiens à Breton ou Aragon, voire aux lettristes
dissidents Jean-Louis Brau et François Dufrêne, pionniers de la Poésie
sonore. Si les versions successives de son précoce et effervescent Traité
du Verbe, devenu En Méthode à l'OEuvre, ont fait l'objet d'innombrables
commentaires, certes point toujours amènes, ses traités plus tardifs,
consacrés à la «Poésie scientifique», ont fait beaucoup moins de
bruit et sont restés largement ignorés ; ils représentent pourtant
les états les plus aboutis, et les plus personnels, d'une pensée aussi
intransigeante que singulière, parvenue à une ferme maturité. Pour
toutes ces raisons, ils méritent aujourd'hui d'être lus, et, en dehors
des clichés tenaces, de contribuer aux débats actuels sur la poésie,
dans ses rapports avec la connaissance et la chose publique...
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