Ce travail d'histoire urbaine a placé au cœur de son analyse la notion centrale de la discipline géographique : l'espace. L'espace dans la ville comme objet historique ? Si la question n'est pas entièrement neuve en Occident, elle répond de toute évidence à une lacune historiographique des études urbaines en Afrique noire. Or, partir de l'espace permet de saisir les logiques de contrôle et de ségrégation mises en œuvre par l'administration coloniale dans deux villes moyennes (Ouagadougou et Bobo-Dioulasso) de la périphérie de l'empire français (la Haute-Volta) et de faire surgir des groupes sociaux, des clivages religieux, des compétitions commerciales, des enjeux fonciers, des lieux de pouvoir et de contre-pouvoir, autrement imperceptibles.
De fait, les différentes échelles étudiées (du voisinage à la ville, de la cour à la rue) font apparaître une multiplicité de territoires et une complexité de la ville africaine fort éloignée de la vision classique de la ville sous domination coloniale (ville «indigène» versus ville européenne) : les territoires du catholicisme et de l'islam, de l'aristocratie ou des chefs de lignages ou encore les espaces de sociabilité militaire et de prostitution en sont quelques exemples significatifs. Des quartiers anciens au centre européen en passant par la nouvelle ville lotie, les pratiques foncières de l'espace urbain apparaissent très souvent déterminantes dans les agrégations et les divisions sociales, économiques ou religieuses en construction.
A plus grande échelle, le voisinage joue un rôle central dans le maintien des relations de dépendance au sein des anciens quartiers africains, tout comme il est déterminant dans les stratégies foncières des quartiers européens. Si la rue coloniale est davantage un lieu d'orchestration des mises en scène du pouvoir qu'un lieu de contestation, son contrôle quotidien échappe néanmoins progressivement à l'autorité coloniale comme dans beaucoup d'autres villes africaines. Finalement, la cour est au centre des relations sociales : espace commercial par tradition puis par nécessité (échapper à l'impôt colonial), lieu privilégié des relations lignagères et professionnelles, elle devient à partir de 1945, le principal lieu d'élaboration de l'opinion publique africaine.