Entre 1860 et 1930, l'Europe traverse une révolution
silencieuse mais décisive, celle du statut de l'enfant : l'enfant utile,
force de travail et source de revenu pour la famille, s'efface devant
l'enfant précieux, qu'il faut éduquer et instruire. C'est le résultat
des exigences accrues en matière de formation, mais aussi de la
généralisation du contrôle des naissances.
Comment cette révolution s'est-elle déroulée en Suisse
romande ? L'analyse comparée des cantons de Vaud et de Fribourg
démontre l'importance du contexte religieux et politique, qu'il
s'agisse des discours sur l'enfant et la vie conjugale, mais aussi des
politiques scolaires, des stratégies familiales pour résister ou
s'adapter à ces nouvelles contraintes.
L'originalité de cette recherche consiste à intégrer la dimension
du genre, jusqu'ici négligée. Cette révolution du statut de l'enfant
est en effet traversée par la reconstruction des rôles sociaux de
sexe et des rapports de pouvoir qui y sont liés. Cet axe d'analyse
éclaire d'un jour inédit les décalages entre régions protestantes et
catholiques dans l'adoption du contrôle des naissances. Autour d'un
enjeu devenu crucial, l'investissement dans l'instruction, de
nouveaux discours et de nouvelles pratiques reconstruisent les
partages entre les sexes. Des partages encore prégnants
aujourd'hui, d'où l'intérêt de comprendre leur genèse.