César Vichard, abbé de Saint-Réal (né en 1639 à Chambéry
où il mourut en 1692), fut connu et estimé de son temps pour
sa réflexion baroque sur l'histoire. Démythifiant le mécanisme
mémoriel des faits de détail compilés sans réflexion et appris sans
passion, il recherche une écriture - une compréhension - qui aille
au-delà d'une simple restitution «agréable», même s'il contourne
le culte événementiel ou héroïque en tendant vers le roman philosophique.
Voltaire tenait l'Histoire de la conjuration des Espagnols
contre la république de Venise (1674) pour un «chef-d'oeuvre», qui fut
apprécié de Casanova. Schiller s'inspira de son Don Carlos.
Stendhal, qui louait son style et sa méthode romanesque, fut
influencé par ses méditations sur le peu de vertu dictant les
conduites glorieuses ; on a dit que Saint-Réal fut son «maître
ignoré» (J. Mondello). Nietzsche poursuivit ses considérations sur
le caractère trop particulier des rôles historiques, qui fournissent la
trame de l'essai sur l'Usage de l'histoire (1671) et ne sont peut-être pas
sans parenté avec le traité quasi contemporain de Jacques Esprit sur
la Fausseté des vertus humaines. Tant d'influence auprès des plus
grands a justifié l'oubli dans lequel Saint-Réal fut par ailleurs maintenu
jusqu'aujourd'hui.