"Je veux voir des Cours et des peuples que peu de femmes ont vus" : voici l'explication que donne Elizabeth Berkeley (1750-1828), plus connue sous son nom de femme mariée, Milady Craven, à son voyage qui, de juin 1785 à août 1786, lui fit faire le tour de l'Europe de Paris à Vienne, en passant par Marseille, Venise, Varsovie, Saint-Pétersbourg, Moscou, la Crimée, Constantinople, les îles grecques, l'Asie mineure, la Bulgarie, la Valachie, la Transylvanie et la Hongrie. C'est-à-dire plus de 8000 kilomètres en 14 mois, en carrosse, à cheval, en bateau, en caïque, à kibitka, en traîneau et à pied, en emmenant partout sa harpe à roulettes, sa machine à faire du thé, une selle à cheval spécialement conçue pour les femmes et, enfin, deux pistolets cachés à la ceinture.
Cette femme de lettres, épouse d'un pair d'Angleterre, amie de Horace Walpole et des écrivains et peintres de son époque, est la deuxième grande voyageuse au Levant après une autre compatriote, Lady Montagu. Cependant, Lady Craven fait un voyage bien plus long et varié, rencontre des empereurs, des pachas et des hospodars, pénètre dans les harems turcs et tatars, descend sur une corde dans la fameuse grotte d'Antiparos, espionne le sultan Osman avec un téléscope en plein Istanbul.
Son récit de voyage, présenté et commenté par Matcï Cazacu dans une longue introduction, est rendu plus vivant par sa forme épistolaire. Les lettres, en fait des tableaux et des portraits, des esquisses rapides et des impressions fugaces, ne sont jamais ennuyeuses. On voit, de la sorte, que Milady Craven inaugure un genre littéraire, le voyage au féminin, appelé à connaître un formidable essor au XIXe et au XXe siècles. Dans son introduction, Mateï Cazacu reconstitue également l'itinéraire et les aventures de plusieurs de ces femmes, attirées par les mystères de l'Orient proche, un monde englouti dans la tourmente des grands bouleversements politiques qui ont marqué notre siècle.