Que l'humanité soit engagée dans une spirale d'auto-domestication ne signifie en rien qu'elle ait éliminé l'élément sauvage demeurant en son être profond. En réalité, la domestication nécessite la présence du sauvage au sein de trois espaces sociaux bien délimités : à proximité du centre du pouvoir où les super-domestiqués, qui décident du pilotage des masses en élevage peuvent s'appuyer sur l'énergie des semi-domestiqués issus du marronage, aux périphéries lointaines où subsistent des éléments sauvages hermétiques à la domestication, enfin au sein même des domestiqués où demeure la nostalgie de l'état sauvage.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les sauvages de la périphérie n'entravent en rien la spirale domesticatrice. En y opposant une résistance, ils lui évitent de passer du stade de l'esclavagisme à celui de la machinisation intégrale des êtres. Toujours est-il que la fluctuation des rapports entre sauvages et domestiqués se présente comme l'une des trames invisibles de l'histoire des civilisations. Celles qui furent les plus avancées techniquement mais également les plus totalitaires ne cessèrent de vouloir transposer aux masses humaines les avancées opérées sur l'animal. Ces transferts invisibles entre l'élevage des animaux et des hommes méritent réflexion à l'heure où l'auto-domestication humaine connaît une accélération inédite sous l'impulsion de la numérisation du vivant.