Dans les romans de Dostoïevski, la philosophie est partout présente. Les personnages ruminent les questions les plus abstraites et en discutent passionnément. Les meurtriers-théoriciens, les suicidaires par conviction, les débauchés lucides s'y côtoient et s'interrogent sur les rapports entre religion et morale, sur notre environnement scientifique et technique ou sur le sens de la beauté. Mais la folle surabondance de ces idées entrave paradoxalement la formulation d'une «philosophie de Dostoïevski». La multitude des personnages, la violence des situations dramatiques, une écriture étrange, apparemment négligée, altèrent également la clarté conceptuelle.
L'œuvre du romancier russe a marqué et fasciné de nombreux philosophes, comme Nietzsche ou Heidegger, mais les raisons de son influence n'ont pas été mises à jour. Nous nous demanderons où apparaît finalement l'unité d'une philosophie dostoïevskienne. Dans les thèmes de la liberté et du mal qui obsédent ses personnages ? Dans une forme littéraire nouvelle, la polyphonie, entraînant une réflexion sur le double et le rapport à autrui ? Ou bien dans une présentation inédite du corps, de la parole, des idées des personnages, qui bouleverse les modèles traditionnels de compréhension de l'homme ?