En 1997, l'élection d'un intouchable à la tête de l'Etat indien, le président Narayanan, a subitement témoigné de la montée en puissance des castes les plus basses sur la scène politique indienne. Les intouchables, environ 150 millions de personnes victimes d'une ségrégation multi-séculaire, commencent à récolter les fruits de plusieurs décennies de lutte, combat dont Ambedkar fut le pionnier.
Bhim Rao Ambedkar (1891-1956) fut longtemps seul contre tous, et notamment contre Gandhi, pour qui les intouchables devaient demeurer partie intégrante de la société hindoue. Cela ne l'empêchera pas de participer au premier gouvernement de Nehru et d'être chargé de rédiger la Constitution de l'Inde en 1947, en raison de ses talents de juriste. Il utilisera ces fonctions pour contenir l'influence du gandhisme et au mieux des intérêts des intouchables.
Homme d'Etat, Ambedkar était aussi un penseur. Son action politique reposait sur une analyse sociologique du système des castes dont il conclut qu'il était consubstantiel à l'hindouisme et que les divisions des castes inférieures interdisaient la formation d'une classe laborieuse, dont les marxistes indiens espéraient encore l'avènement. D'où les deux stratégies qu'il mettra en œuvre dès les années 1920. La première visait à améliorer la position des intouchables dans l'espace public, en les mobilisant à travers un parti politique et en obtenant pour eux des concessions auprès des Britanniques puis du Congrès. La seconde n'était autre que la conversion à une autre religion, perçue comme une migration collective vecteur d'émancipation sociale dès lors qu'elle permettait d'échapper au monde hindou.
Ministre de Nehru mais bridé dans ses projets de réforme sociale, il démissionna et prit ses distances avec l'action politique au début des années 1950 pour finalement se convertir au bouddhisme quelques mois avant sa mort. Il disparut, amer et solitaire, sans se douter qu'il avait posé les bases d'un mouvement intouchable arrivant aujourd'hui à maturité.