Je suis pleine de mots, pleine à ras bord. Pourtant,
aucun, jamais, n'a franchi mes lèvres. Si
l'on veut comprendre, il faut imaginer un coffrefort
dont nul ne connaîtrait la combinaison, une
forteresse d'acier blindé impossible à ouvrir ou
à forcer. Je me tiens dans ce bastion de silence
depuis ma naissance, il y a un peu plus de
trente ans, sans songer à m'en plaindre. Le fait
d'être muette ne constitue pas pour moi une
gêne véritable, encore moins ce que les autres
qualifient de handicap. Enfin, je ne le considérais
pas comme tel jusqu'à ce dimanche d'avril
où j'ai vu cet homme en pleurs.
A. B.