En ce début de XXIe siècle, l'épuisement semble général, la confiance dans le temps long manque cruellement. Partout triomphe la communication brève au sein du « village global » (mail, tweet, etc.), aux antipodes du poème. On dirait que l'époque n'est pas à l'épique... En apparence seulement. Ne serait-ce pas plutôt notre conception vieillissante du genre qui demande à être réactualisée ? Voici une quarantaine d'années, mettant la pratique avant la théorie, nous avons parié quant à nous pour un modèle long, une nouvelle forme d'épopée. Il s'agissait de passer contrat avec tel ou tel lieu précis dans l'espace - forêt, rivière, lac ou sommet, etc. - pour retisser les liens entre mémoire individuelle et commune. De l'arrière vers l'avant ou l'inverse, comme permet ce véhicule transfrontalier et transhistorique, le poème. Aujourd'hui, nous en faisons la « théorie » d'autant plus librement que nous sommes tous devenus épiques, par amour raisonné des « petites patries » et allongement de nos voyages respectifs dans le mystère du temps.
Jacques Darras