Essais sur la nature et la culture
Venant de la plaine, qui s'approche d'une chaîne montagneuse, et tout à coup pressent que ces formes nuageuses bleues apparaissant à l'horizon pourraient être des montagnes, peut nourrir les pensées suivantes : je soupçonne que ces formes à l'horizon sont des montagnes et non pas des nuages, bien qu'elles paraissent être des nuages, parce que je sais que les montagnes, vues de loin, ressemblent à des nuages. Si je ne l'avais pas su, jamais ce soupçon ne me serait venu à l'esprit. Dans quelques minutes, je confirmerai ou non ce soupçon ; je verrai si ces formes sont des montagnes ou des nuages. Mais supposons que je n'aie jamais vu de montagnes ou que je n'aie jamais entendu parler : il ne fait, à l'évidence, aucun doute que ces formes à l'horizon sont des nuages. Et, dans quelques minutes, lorsque ces formes se seront révélées comme n'étant pas des nuages, que verrai-je ? N'aurai-je pas une expérience tellement extraordinaire et violente que j'en éprouverai un choc ? Un choc capable de me tuer ? Pour qui ne connaît que les plaines, pour qui le paysage est toujours plat, il sera difficile de survivre à la confrontation avec quelque chose d'aussi immensément extraordinaire, d'aussi gigantesquement absurde que les montagnes.