La tolérance n'a sans doute jamais été aussi nécessaire qu'aujourd'hui, c'est-à-dire dans un monde très différent de celui où son concept a été inventé. Si la tolérance, comme concept positif, a en effet été pensée dans ses fondements philosophiques à l'époque moderne, il importe de la repenser au début du monde post-moderne dans lequel nous sommes entrés parce qu'elle est probablement en mesure de nous fournir les règles de coexistence dont ont besoin aujourd'hui les groupes, les communautés et les peuples.
Au moment de sa formation (XVIe-XVIIe siècles), le concept moderne de tolérance avait pour objet de résoudre une question religieuse : comment rendre possible la coexistence de plusieurs religions dans un même Etat ? Or ce concept a permis de penser la coexistence religieuse, en déplaçant le centre de gravité de la question du religieux au politique. La coexistence des religions est une coexistence civile, ce qui suppose une séparation de l'Eglise et de l'Etat et la reconnaissance de l'égale dignité des croyances.
La question est désormais de savoir si le concept de tolérance se limite au théologico-politique. Ne peut-il permettre la construction d'un concept politique de la coexistence des communautés, voire des peuples ? En analysant les nouveaux enjeux de la tolérance aujourd'hui, nous verrons le problème de la coexistence se déplacer à la fois à l'intérieur des Etats et dans les relations internationales. Le principe de réciprocité qui est inhérent au concept de tolérance permet de penser les conditions de la coexistence (identités, différences, reconnaissance, frontières, égale dignité des histoires, justice relative, etc.) dans un monde déchiré.