La pensée qui s'approfondit est cumulative. Avec l'âge et
l'enchaînement des travaux successifs, elle reprend les mêmes
thèmes, les mêmes formules parfois, pour en extraire enfin la force
lyrique ou l'évidence épistémologique. Car, il en va de la méditation
comme de la vie quotidienne, toujours la même, toujours
nouvelle. Et la philosophie procède moins par expansion que par
creusement. Loin d'un tourisme de la pensée, ou d'un égocentrisme
qu'on lui a reproché à juste titre, elle ne doit être «auto-phage»
que par l'ascèse solitaire d'une récurrence, qui récure le
moi de ce qu'il a, en effet, de «haïssable» pour découvrir, au fond
du fonds, comme au fond des choses, ce vide ontologique, d'où
partira toute sortie créatrice hors de la suffisance.
Le lecteur trouvera donc dans le présent volume des formules
extraites de textes théoriques antérieurs : qu'il ne s'en étonne pas.
Puisse-t-il plutôt accompagner la libération spirituelle de celui
dont l'intention n'a jamais été que d'ouvrir les prisons du déjà-dit,
et qui tente, aujourd'hui, d'élargir ses idées, rendues joyeuses
(même en larmes) par l'exclamation philosophique. Une pensée
qui s'exclame est une pensée qui s'évade. Elle fait le mur des
textes anciens, pour gagner le grand-air d'une liberté nouvelle, au
risque d'en suffoquer.
On remarquera ainsi qu'à la suite des Exclamations philosophiques,
le recueil de Thèmes, par un laconisme donnant plus de
place encore au silence qui enveloppe les mots, réduit l'exclamation
à un murmure - ce murmure des formules lapidaires, gravées
parfois sur les stèles. C'est dire qu'à la nudité de formules sans
contexte, le lecteur offre le vêtement de sa propre vie.