Présentes au Japon tout au long de son histoire, les femmes faisant
métier de divertir les hommes ont possédé, du XIe au XIIIe siècle, un statut
particulier. Elles n'étaient pas, comme les futures geisha, enfermées
dans des «quartiers de plaisirs». Organisées en groupes autonomes, elles
attendaient, aux escales sur des barques ou sur les routes, à l'étape, les
voyageurs appartenant à tous les milieux : nobles de cour, fonctionnaires
en tournée, parfois moines itinérants. Certaines d'entre elles étaient mandées
auprès de très hauts personnages pour animer les banquets de leurs
chansons ou de leurs danses, ou bien pour les instruire dans l'art du
chant, dont elles étaient les détentrices reconnues. Selon certaines traditions,
il n'est pas jusqu'aux divinités qui n'aient parfois goûté leur talent.
Loin d'être vilipendées ou méprisées, les courtisanes furent admirées
par les lettrés, chantées par les poètes et suscitèrent la réflexion des
moines. À travers les nombreux textes réunis, traduits et analysés par
Jacqueline Pigeot, spécialiste reconnue de la littérature du Japon ancien,
on peut suivre la carrière de plusieurs d'entre elles et discerner la place
qu'elles occupaient dans l'espace social. On donne surtout à entendre le
discours de leurs contemporains, hommes aussi bien que femmes : c'est
d'abord une histoire des représentations qui est ici proposée.
Au-delà de la figure de la courtisane se précisent la conception de la
sexualité et du mariage dans la société du temps, la place du désir dans
l'anthropologie bouddhique, ainsi que les tentatives menées dans le Japon
ancien pour réhabiliter le divertissement dans une perspective religieuse.