Les lettres spirituelles de Fénelon sont un monument qui marque la fin d'un siècle où la direction de conscience était devenue un instrument majeur de la reconquête catholique du monde mais aussi un véritable fait de société, avant de décliner au siècle des Lumières. Cette correspondance, remarquable par son ampleur, témoigne d'une manière directe et authentique du commerce entre directeur et dirigé. La qualité des personnes impliquées, dont beaucoup appartenaient au premier cercle de la Cour, met en évidence l'influence sociale d'une pratique par ailleurs contestée à une époque où la mystique est l'objet d'un soupçon.
Avec sa correspondance spirituelle, Fénelon écrit sans doute le chef-d'oeuvre d'un véritable genre littéraire original consacré à l'art de la direction. Contrairement à la prédication, pratique publique qui met en oeuvre une dramaturgie grandiose, la direction est un échange intime, caché, reposant sur un rapport de personne à personne. Elle s'appuie essentiellement sur l'entretien et la lettre privée et semble rejeter toute technique, toute science des effets, pour favoriser la simplicité, la spontanéité, l'oralité, c'est-à-dire l'envers de l'art. Pourtant, la direction spirituelle est conçue comme une science redoutable et exigeante, qui déploie toutes les ressources de la rhétorique et de la psychologie dans un but d'efficacité. De fait, elle vise à transformer l'individu et la société avec lui. Fénelon, membre du Petit Concile, conduisant Mme de Maintenon et, plus tard, le duc de Bourgogne, poursuit assurément cet objectif.