Figurations du spectateur
La « question du public », selon la formule usuelle, constitue pour tous les observateurs du théâtre contemporain une question majeure. L'hypothèse développée dans cet ouvrage est qu'elle est en effet cruciale, mais ne se situe pas là où on le croit, l'élément décisif n'étant ni le taux de remplissage ou de satisfaction des salles, ni le degré d'activité visible de leurs occupants, mais la nature de la fonction octroyée au spectateur. Comme on l'oublie trop souvent, le théâtre est en Europe un outil que la société s'est donné pour élaborer les fictions qui, en retour, la constituent. Sa capacité à dramatiser effectivement la vie commune dépend donc très largement de ceux qui sont venus assister aux spectacles, poussés par un besoin de récits et de formes. De ceux qui arrivent du dehors.
Il s'agit ici de réhabiliter, à côté des définitions les plus médiatisées du spectateur contemporain, faisant de lui un joueur ou un interacteur intégré à un événement théâtral qui ne comporte plus de drame, la figure du veilleur-songeur apparemment inactif et solitaire, en réalité le meilleur médiateur qui soit entre les scènes et les réseaux qui renouvellent le social. Une figure redécouverte par nombre de metteurs en scène travaillant avec ou sans texte, de façon fragmentée ou non.
La gravité de l'enjeu s'exprime de façon saisissante dans certaines images récentes montrant des publics animaux : visions d'artistes cauchemardant ce que serait un univers réellement postdramatique.