A l'heure où toutes les frontières tremblent, s'effacent ou se renforcent avec la violence que l'on sait, il serait urgent de reprendre et de repenser le concept même de frontière. Mais y a-t-il un tel concept, à trouver ou à construire ? C'est ce que nous commençons à mettre en doute ici, à partir d'une relecture de Kant, pour qui la frontière se révèle être à la fois l'élément même de sa pensée, et la frustration permanente de sa conceptualité.
En suivant ce fil conducteur d'abord dans les textes politiques de Kant et ensuite dans la Critique du jugement téléologique - si méconnue -, nous tentons de dégager une structure complexe, abyssale, fractale, qui inscrit toujours un reste de nature violente dans toute frontière (y compris conceptuelle), et qui complique l'argumentation la plus explicite, la plus rationnelle, de Kant lui-même (qui va toujours vers le cosmopolitisme et la paix dite perpétuelle) en y ajoutant un motif de réticence ou d'interruption.
Comme il se trouve qu'il ne pourrait y avoir de paix perpétuelle que dans la mort, il faut interrompre le mouvement téléologique qui risque de nous y mener, il faut maintenir des frontières (et donc une certaine violence) là où tout semblait nous porter à souhaiter leur disparition pacifique, ne fût-ce que dans l'ordre de l'Idée.
Ne s'agissant ici ni d'une critique de Kant, ni d'un retour à Kant (ces deux gestes si fatigués), le livre propose aussi une nouvelle réflexion sur la lecture philosophique, pour laquelle la pensée de la frontière serait à la fois la ressource essentielle et la frustration récurrente et féconde.