«Un humaniste pour notre temps»
Si on lui avait demandé ce dont l'époque manque le plus cruellement, il aurait répondu : d'esprits de la Renaissance. D'hommes et de femmes capables d'affronter la complexité du réel. Capables de transcender le domaine de leur spécialité, havre de tranquillité trompeuse. Capables de confronter leur identité culturelle à celle d'autres identités. Capables de penser que peut-être ils se trompent ; que le regard des autres est la source par excellence où puiser les éléments de la lucidité.
A vous l'intellectuel qui placiez l'intelligence du cœur au sommet de toutes les formes d'intelligence ; l'esthète militaire qui, revolver au poing, avez défendu la civilisation contre la barbarie nazie ; le sinologue qui, de la Renaissance européenne, aviez fait votre terre d'élection ; le littéraire qui attiriez les gens de science ; l'universitaire sans frontières qui vous moquiez de l'establishment français ; le solitaire, incomparable animateur de colloques intimes, vous, le fondateur de Royaumont et de l'Institut Collégial européen ; l'auteur des meilleurs livres sur Ronsard, Du Bellay et Claudel ; l'infatigable organisateur du Séminaire interdisciplinaire du Collège de France ; vous qui la veille de votre mort apportiez la dernière correction à votre dernière œuvre ; vous l'homme des amitiés fortes et complices ; vous, enfin, à qui nous devons tant d'instants intenses et admirables, nous vous rendons aujourd'hui hommage.
Olivier Postel-Vinay, Le Figaro, 22 mars 1995