Depuis un demi-siècle, Henri Michaux est devenu une figure essentielle de notre
paysage esthétique et littéraire. À l'écart des modes et des avant-gardes, son oeuvre
exerce une sorte de magnétisme. Ses intuitions fulgurantes dans les domaines les
plus inattendus de la pensée, du savoir et de la sensibilité ont anticipé la fin des
grandes idéologies. Le culte dont il fait aujourd'hui l'objet ne le cède sans doute
qu'à celui de Rimbaud, mais avec des effets tout aussi réducteurs. Michaux secret,
Michaux barbare, Michaux halluciné. Telle est la vulgate.
L'auteur d'Un certain Plume s'est, il est vrai, dérobé à la publicité et aux honneurs.
À la fois présent et caché dans ses textes comme dans ses peintures, il était réfractaire
à la biographie.
Michaux, pourtant, ne fut pas sans corps, sans famille, sans histoire. «Moi je veux
voir et vivre», disait-il, jeune homme. Jusqu'à sa mort, à l'âge de quatre-vingt-cinq
ans, il prit mille fois le bateau et le train, migra d'hôtel en hôtel, aima plusieurs
femmes, noua de profondes amitiés, scruta les foules, les animaux et les arbres. C'est
avec une curiosité intense qu'en lui le peintre et l'écrivain ne cessèrent d'observer le
monde.
Parti sur ses traces, Jean-Pierre Martin a enquêté, interrogé des témoins, consulté
archives et correspondances inédites. De Namur à Montevideo, de Quito à Knokke-Le
Zoute, de Calcutta à Saint-Vaast-la-Hougue, il a visité de nombreux lieux de passage de
la comète Michaux, décelant dans l'enfance et l'adolescence belges, dans cette
origine détestée, quelques-unes des singularités qui ont façonné un être de fuite.
Jetant une nouvelle lumière sur l'oeuvre de Michaux, sur ses paysages et ses
hantises, cette biographie, la première qui lui soit consacrée, est un essai de réincarnation.