Histoire du snobisme
Février 1914 : une grande enquête est lancée pour déterminer le sujet le plus « parisien » du moment. Alsace-Lorraine, tensions avec l'Allemagne, poudrière des Balkans ? Erreur. La réponse est : Bergson. Les élégantes qui se pressent aux cours du philosophe s'arrachent d'ailleurs la dernière robe du grand couturier Worth, joliment appelée « M. Bergson a promis de venir... »
Chers snobs, que le Collège de France préoccupe davantage que la guerre qui menace. Bergsoniens à la Belle Époque, ils ont été amateurs de loirs au miel dans l'Antiquité, bourgeois gentilhommes ou précieuses ridicules au Grand Siècle, Incroyables ou Merveilleuses sous le Directoire, fashionables sous la Restauration... mais il leur a fallu attendre le milieu du XIXe siècle pour connaître la consécration, grâce au livre du romancier anglais Thackeray, Le Livre des snobs, acte de baptême du snobisme. Dûment nommés, nos snobs s'habillent à l'anglaise et courtisent les clubs chic, convoitent l'onction du titre de noblesse ou de la particule, s'émerveillent de la mise du comte d'Orsay, de Boni de Castellane, d'Oscar Wilde ou du prince de Galles.
Après la Grande Guerre, la séduction du grand monde finit par se tarir. Fleurit alors un snobisme nouveau, aujourd'hui plus vivace que jamais : il faut être dans le vent, ou mourir ! Goûter l'art cubiste puis abstrait, quand la foule en est aux impressionnistes ; s'affoler de la cuisine dite nouvelle pour, quand elle vieillit, célébrer les élucubrations chimiques de chefs inspirés... Ridicules, les snobs ? Avant de leur jeter la pierre, faites votre examen de conscience, en méditant le propos du maître en snobisme que fut Robert de Montesquiou : « il faudrait manquer d'esprit pour ne pas être snob »...