Longtemps l'histoire du fleuve Sénégal fut négligée en Mauritanie car cette histoire est dangereuse. Elle montre à l'évidence que les dichotomies entre le Nord et le Sud, entre nomades et sédentaires, entre razzieurs et razziés ne fonctionnent pas. L'expansion impérialiste de la France a créé cette frontière, il fallait en effet séparer les « Maures » au nord, des « Noirs » au sud pour mieux les contrôler. Mais la force de cette représentation arbitraire était telle qu'elle fut également adoptée au nord comme au sud par les populations locales. Pourtant, les mêmes populations se retrouvent de part et d'autre de cette frontière, on y trouve les mêmes familles de Haalpulaar'en (Tukolor et FulBe), de Soninké et de Wolof, et leurs ancêtres, depuis au moins le VIIIe siècle. Les échanges et les relations avec les nomades berbérophones (Znâga) et plus tard hassanophones (les Bidân, que les colonisateurs appelèrent « Maures ») reposent sur un fond historique similaire.
Cette publication fait suite à nos études précédentes - Groupes serviles au Sahara (2000), Colonisations et héritages actuels au Sahara et au Sahel (2007) et Le passé colonial et les héritages actuels en Mauritanie (2014). Dans cet ouvrage, il s'agit de procéder à un double exercice, d'une part, reconstruire l'histoire ancienne du fleuve depuis la période du Takrur (VIIIe-XIe siècle) et, d'autre part, contribuer à la construction de l'histoire régionale de la vallée du fleuve Sénégal mauritanienne jusqu'à la période contemporaine, tout en établissant quelques liens avec le Sénégal. Notre livre veut être ainsi une contribution à l'inclusion de l'histoire du fleuve dans l'histoire de la
Mauritanie, trop influencée par la vision qui prétend que l'histoire mauritanienne se résume à la seule histoire des Bidân.
Nous présentons des travaux de collègues mauritaniens issus de la région du fleuve (Abdul Dicko, Amadou Dia, Ousmane Kamara et Sidi N'Diaye), ceux de nos collègues Martin Klein et Marion Fresia, et nos propres travaux (Raymond Taylor et Mariella Villasante).
Nous espérons que ce livre puisse renouveler les études sur la région du fleuve Sénégal, depuis la période antique de son peuplement jusqu'au présent postcolonial. Pour que l'on puisse enfin construire une histoire nationale de la Mauritanie en incluant toutes les communautés ethniques et statutaires du pays.