J'ai connu Moolinex à l'occasion d'une exposition que j'avais organisée sur le collectif
Bazooka, au musée de l'Abbaye Sainte-Croix, aux Sables d'Olonne. Immédiatement
j'ai été fasciné par l'univers de ses carnets Art-Pute : la précision mécaniste, le dessin
infantile, la débauche de couleurs, le radicalisme incantatoire des textes, le «je-m'enfoutisme»
revendiqué, les têtes de mort, les monstres, la sexualité éclatante... Plein
d'autres choses singulières, une sorte de bric-à-brac furieux. Moolinex correspondait à
l'idée trop commode du punk tombé dans le chaudron des fanzines. Depuis j'ai vu les
sérigraphies du Dernier Cri, les grandes feuilles gouachées, les couvertures de Ferraille,
les collaborations avec la Fanzinothèque de Poitiers, un album de pochettes de 45 tours,
des tableaux géométriques et réalistes au point de croix (Nada)... Moolinex peut tout
faire : il est simplement doué. Il m'étonne.
Son épais recueil HLM, dessiné et peint en 2001 à Poitiers, dans son appartement de la
ZUP, est une somme qu'il fallait un jour éditer en fac-similé. C'est un codex, c'est-à-dire
un manuscrit rare et illustré comme celui, antique et mystérieux, des Mayas : une bible
régressive, un réjouissant enfer d'images. HLM en assemble de partout, de toutes les
eaux, dans un désordre relativement cohérent : des personnages par séries, des freaks,
des masques, des machines et des véhicules, des paysages d'usine, des gros plans de
corps... C'est contemporain et rigoureusement populaire.
Moolinex multiplie la même image, avec des nuances (des dégradations) et l'accompagne
de bribes de texte, en caractères bâton ou sauvagement manuscrits, tachés, raturés.
Les mots deviennent imprécatoires : on les ânonne avec les yeux. C'est du jargon
(du même tonneau que celui inventé par Dubuffet après-guerre). Les néologismes font
mouche, espèces de légendes. Ajoutons-y la science que Moolinex tire de la titraille
gore, façon couverture de fumetti, comme les Diabolik des soeurs Guissani...
Le tout dans un dévergondage de couleurs, criardes ou mièvres, que n'auraient pas
désavoué les peintres du Blaue Reiter ou de Die Brücke. Mais le négligé de l'ensemble
est trompeur. Dans la violence anar, antisociale, des carnets de Moolinex, il y a comme
une aliénation nécessaire, positive. Il secoue le monde des pauvres et des riches, celui
des crétins satisfaits et des gens de pouvoir, les bons sentiments comme la terreur.
Il brouille les codes de l'enfance avec de la gouache ou du crayon feutre ; colle et raboute
des juxtapositions peu orthodoxes. Il interprète par exemple l'imagerie rock'n'roll :
les musiciens de Devo (Are we not men ?) ont comme chapeaux des pots de fleurs à
l'envers ; Aero Deep Pink Zeppelin est une créature seventies, un golem qui s'échappe
de la page à grandes enjambées... Les corps sont infatués, enflés, lourdement sexués :
une telle démonstration chancèle au bord de la franche rigolade. Hénaurme.