Vilages de l'islam
Collection dirigée par Alberto F. Ambrosio
Atypique, Ibn 'Arabi certes le fut. Ce héros de roman bouscule les lois du genre : en fouiller la psychologie, couleur locale incluse, c'est manquer le mouvement perpétuel d'un coeur qui embrasse le Tout et se fait voyant. Cet esprit infatigable, mû par tous les talents, vers et prose confondus, qui précède de trois bons siècles la Renaissance (Murcie, Andalousie, 1165 - Damas, 1240) déconcerte le biographe, avec ses semelles de vent et son Livre sacré à la main.
Ce défi, un auteur turc de notre temps, le relève. Sadik Yalsizuçanlar, bannissant l'érudition, choisit de dérouler, mêlant la première et la troisième personnes, ce fil entêté de la recherche du Vrai, de la rencontre avec Averroès à Cordoue - l'ami de la famille - à l'appel de l'immensité d'un monde arabe quasi infini, sans oublier la formation acquise auprès d'une mère spirituelle fort importante.
Cette Méditerranée jadis vouée à Ulysse reste le lieu des nostalgies, mais le soufi les transfigure, grâce à cette présence-absence que l'islam caractérise si bien comme un entre-deux, assumant ici-bas formes et signes et, de façon « imaginaire », la sainteté (lui-même est dit « Sceau de la sainteté »). La poétique du déchiffrage du monde (huit cent cinquante ouvrages sont à son actif) cohabite constamment avec la pratique d'une ascension systématique.
Ces Itinéraires disent les aventures de l'esprit s'échappant de la matière. La lettre, le mot y sont les instruments d'une autre cabale : la relation quasi directe de la créature et de Dieu est affaire de langage, d'amour, de contemplation - une seule et même chose. Dieu n'est pas nouménal, le phénomène en soi est Dieu même. La doctrine, tout compte fait - infinie puissance de la dialectique -, dit la présence absolue : ne serait-ce que parce qu'on peut être là et ailleurs, autrefois ou demain et maintenant, la philosophie de ce fils de Platon s'éclaire d'un jour nouveau, soudain très surprenante, et très vivifiante, pour notre rationalisme.