Berne, un bal de juillet 1923. Elle a vingt-sept ans, lui vingt de plus ; il est célébré comme l'un des plus grands écrivains d'expression allemande, mais elle, qui ignore cette langue, ne le connaît pas ; presque tout les sépare, sauf leur commune fragilité physique. Ce soir-là, assis l'un et l'autre à l'écart des danseurs, Monique Saint-Hélier et Rainer Maria Rilke font connaissance. Deux mois plus tard, ce dernier prend l'initiative d'entamer une correspondance qui perdurera jusqu'à la mort du poète, en décembre 1926.
Au fil de leur échange épistolaire, chaque correspondant retrouve en l'autre l'écho de ses angoisses et de son mal de vivre. Lui-même malade, Rilke interprète la souffrance corporelle comme l'expression d'une élection ; en donnant un sens à la dégradation physique de sa confidente, il contribuera fortement à l'éclosion du talent d'une romancière qui figurera parmi les personnalités littéraires en vue des années 1930.
Dites, à Muzot, un soir de mars, les avez-vous senties grêler à vos fenêtres toutes les peines de mes pensées et de mon coeur ?
À 3 heures, un mardi dans ce début de printemps, n'avez-vous pas rencontré sur votre chemin une palombe presque morte, qui serrait sur son coeur deux ailes qui n'avaient pas choisi de vivre ?
Dites, la première fois que vous avez vu monter des champs la fumée printanière, est-ce que vous avez su qu'il m'entrait au coeur une peine dont je me souviendrai toujours, une peine que je ne donnerais à personne - pour rien au monde, une peine dont le cher Blaise n'est pas responsable ?
Et le savez-vous que chaque fois que quelqu'un m'a fait mal, j'ai pensé à vous écrire pour vous demander aide et conseil, pour que vous preniez soin de ma vie ?