Elle est sur scène, avec sa robe blanche à filet, celle près du corps Elle n'est plus que son corps, son corps et sa voix, sa voix, Nico, elle est la salle tout entière, elle est tout, elle jette des morceaux de viande fraîche, elle agite les morceaux et ils rugissent dans la salle, ils en veulent plus, et elle s'arrache encore des morceaux, des bons gros morceaux, et elle leur jette ces morceaux et ils la dévorent, et elle donne, elle se donne, elle donne tout, parce qu'elle sent comme ça déborde d'elle, connue elle peut donner encore parce qu'elle est énorme et ça continue à jaillir après la scène, à déborder, impossible d'arrêter la machine, jouir jouir jouir
Parce qu'elle oublie, Nina. Elle oublie la laisse, parce qu'elle est comme ça. Nina, géante, une grosse grosse géante, une géante surpuissante avec son corps de déesse yoruba. avec ses grosses boudes d'oreilles qui cognent contre son cou, et alors elle se retrouve à danser nue dans cette boîte de nuit au Libéria et elle danse, elle danse. Elle danse, à poil, elle danse toute la nuit. Monrovia, the Maze, danser, se sentir vivante, trop vivante, vivante jusqu'à la mort
Une nuit, dans un motel minable d'Atlantic City, Nina et Nico, son compagnon, se font face.
Nina est blanche. Sa mère lui a pourtant donné ce prénom en référence à Nina Simone, la grande chanteuse de jazz qui hante aujourd'hui sa vie. Un prénom comme un héritage, presque une injonction.
Le souvenir de cette figure puissante et bouleversante la secoue cette nuit-là au point de tout faire éclater. Car se retrouver à quelques pas d'un des lieux mythiques où le destin de Nina Simone a basculé l'ébranle profondément.
Alors, le simple fait d'évoquer dans l'intimité de cette chambre miteuse la vie de la chanteuse et celle de sa propre mère fissure toutes les constructions auxquelles Nina avait cru jusque-là.