Bibliothèque allemande
Les deux pièces traduites ici et précédées chacune de denses essais constituent, avec les Notes sur Xenodoxus demeurées à l'état de fragments, un volet cohérent de l'oeuvre dramatique de Hofmannsthal. Jedermann (« Tout homme », « Chacun »), est une moralité née à la jointure du Moyen Âge et de la Première modernité. Donnée en 1920 pour l'ouverture du Festival de Salzbourg, elle en marque chaque année le début. Le Grand Théâtre du monde, repris de Calderon, suivit deux ans plus tard.
Ces deux spectacles renoncent à la scène à l'italienne et privilégient, l'un, le parvis de la cathédrale, l'autre, l'église de l'Université. Tous deux substituent des récits en stations à la structure traditionnelle en actes et scènes. Leur caractéristique majeure est de reposer sur le passage d'un destin individuel à une vision globalisante actualisée de l'ordre social. En effet, Hofmannsthal écrit au moment où s'effondre la Monarchie austro-hongroise et où sort de l'histoire la dynastie pluriséculaire des Habsbourg. Cet événement capital coïncide avec la crise politique consécutive en Europe Centrale à la Révolution d'octobre léniniste que prolongent les mouvements spartakistes à Berlin et dans les toutes proches Bavière et Hongrie.
L'arrière-plan religieux de ces textes ne saurait faire écran à la composante collective ni à la volonté de Hofmannsthal de faire du théâtre, ici encore, son moyen d'expression esthétique privilégié.
C'est avec la littérature allemande que la littérature française a entretenu à l'époque moderne les rapports les plus étroits. La relative méconnaissance actuelle de cette production - celle qui va de Goethe à Kafka, Musil, Brecht, Celan ou Sebald par exemple - masque largement une réalité que la Bibliothèque allemande veut précisément rendre à nouveau sensible, en regroupant les plus grands textes de langue allemande dans de nouvelles versions françaises de référence. À travers des choix rigoureux et des traductions précises, Bibliothèque allemande invite à découvrir ou redécouvrir un monde sans lequel l'Europe des lettres ne serait pas.
Les volumes de la collection, donnés principalement en traduction seule, ou si le texte ou le traducteur l'exigent, édités en bilingue, sont pourvus d'appareils critiques réduits. Ils sont précédés d'une introduction destinée à faciliter l'accès à des oeuvres toujours publiées dans leur intégralité.
Trop souvent réduit en France au rôle de librettiste de Richard Strauss, Hofmannsthal fut un poète lyrique d'une exceptionnelle précocité et une des figures marquantes de la vie littéraire en Autriche entre 1890 et 1929. Dramaturge original, il fut en outre à l'origine de cycles dramatiques recréant pour le présent la tragédie antique et la comédie sociale des XVIIe et XVIIIe siècles (Calderón, Molière, Goldoni, Gozzi...).
Il est nécessaire en outre de rappeler, comme il est fait ici, qu'il fut l'artisan majeur de la naissance et du développement du Festival de Salzbourg. Il a donné pour cette institution dont il fut le coeur, avec Max Reinhardt, Jedermann (1920) et Le Grand Théâtre du monde de Salzbourg (1922), textes à substrat religieux d'une « modernité antimoderne ».