Agronome, économiste, ethnologue,
conteur à l'orientale... rassurez-vous, il
ne s'agit pas d'un baladin à la cour du grand
pacha modernisateur Méhémet-Ali, mais
d'un citoyen genevois débarqué à l'âge de
vingt-quatre ans en Egypte pour se vouer à la
culture du coton.
Né en 1815 à Saint-Gervais, ce faubourg
ardent qui a vu apparaître J.-J. Rousseau un
siècle auparavant, John Ninet grandit dans un
milieu de petits industriels. Adolescent, il assiste à l'exaltante
montée de la gauche. Le cosmopolitisme ambiant l'incite à regarder
au-delà des frontières. Après un séjour en Géorgie, il s'installe
dans le delta du Nil et va vivre avec la terre égyptienne une véritable
histoire d'amour.
Cultiver du coton, c'est partager le labeur du paysan dont les
conditions n'ont pas varié depuis des millénaires. Le jeune agronome
apprend la langue et s'emploie à former des cadres. Marqué
par son éducation libérale, il s'indigne de l'injustice qui accable le
peuple fellah et commence à écrire une série d'articles, la plupart
anonymes, pour dénoncer la cupidité du vice-roi et de ses comparses
indigènes, turcs et européens. A travers son témoignage,
nous découvrons la glorieuse époque de Méhémet-Ali jusqu'à la
lente dérive de ses cinq successeurs et à l'occupation anglaise.
Il va tenter de soutenir le mouvement nationaliste grâce aux
principes de démocratie qu'il a connus dans sa patrie. Partisan de
ce premier soulèvement en Orient, il est le seul Européen à
demeurer jusqu'au bout dans le camp d'Arabi. L'arrogance colonialiste
le dépouillera de tout, même d'une reconnaissance posthume.
Nous le voilà rendu, ce John Ninet, défenseur des droits de
l'homme et précurseur de l'assistance technique. Son destin
exemplaire éveille de singulières résonances, à l'heure où les soubresauts
sur l'ensemble de l'aire musulmane ne cessent de nous
interpeller.