Seul contre tous, dans une misère galopante, Andrew
Whittaker tente de maintenir à flot Mousse, exigeante et
néanmoins minable revue littéraire défricheuse de talents
dont il est le fondateur, le rédacteur en chef et, probablement,
l'unique lecteur, tout en gérant les avanies locatives
d'un petit immeuble de rapport. Nous sommes au fin fond
de l'Amérique des années 1970, sous le règne de "la clique
de Nixon", et il n'est pas aisé d'accoucher l'avant-garde
créative d'un pays qui patauge dans ses conservatismes
tout en réglant des problèmes de plomberie, de locataires
"de basse qualité" et en affrontant les médisances d'un
environnement provincial petit-bourgeois.
On entre dans l'intimité d'Andrew - irrésistible odieux
personnage, raté rageur à la mélancolie féroce et toxique,
à l'humour proprement redoutable et à la philosophie
questionnable - à travers son abondante correspondance
qui, incidemment, constitue ses oeuvres complètes, car
on y découvre aussi les ébauches, projets et autres acharnements
romanesques de notre antihéros, écrivain contrarié,
on l'aura deviné.
Baigné de l'ombre tutélaire de Fernando Pessoa, ce
mano a mano de Whittaker avec des rêves et des aspirations
mal ajustés est un autoportrait kaléidoscopique
où l'on retrouve les thèmes de prédilection de l'auteur
de Firmin : la solitude, la déchéance, ici visitée dans ses
moindres recoins, et la noire ironie du sort des hommes,
mais aussi son talent singulier pour faire surgir le rire des
situations les plus sombres, des blessures les plus douloureuses,
des obsessions les plus incongrues.