Dans l'élan de la Révolution française, en 1796, Gracchus
Babeuf imaginait prolonger l'égalité sur les questions
économiques à travers un ultime combat contre le Directoire
qui lui coûta la vie, à lui et à ses camarades, lors de
la «conjuration des Égaux». Deux siècles plus tard, à front
renversé, une «conjuration des inégaux» semble s'être
imposée à nous.
Vue d'en haut, la lutte des classes ne fait pas débat, elle se
mène, point barre, et elle se gagne. Elle n'est ni anonyme
ni virtuelle ; elle est au contraire symbolisée par une élite
- des noms et des visages, unis par de multiples relations
opératoires et redoutablement efficaces. Au sol, elle cherche
à dépasser les ravages de la division sociale savamment
provoquée et entretenue par les classes possédantes afin
de saper toute amorce de reprise de conscience de classe.
Derrière ce pare-feu illusoire que constitue le mythe des
«classes moyennes», les identités sociales se diluent,
se perdent et s'ignorent. Au point que l'écrasante majorité
s'oublie jusqu'à en devenir invisible.
Les prolétaires - celles et ceux qui sont obligés de vendre
leur force de travail, manuelle ou intellectuelle, pour vivre -
n'ont jamais été aussi nombreux dans l'histoire du capitalisme.
Pourtant, et c'est un paradoxe, ils n'ont jamais eu
aussi peu conscience d'exister en tant que tels.