Le présent essai s'efforce de penser le problème de la croyance depuis
l'hypothèse qu'il s'agit de la question cruciale d'une époque qui aura dû abandonner
les unes après les autres les certitudes modernes : progrès, croissance,
rationalisation et pacification du monde - toutes conquêtes de haute lutte,
d'ailleurs subordonnées à une pétition de sens finalement déçue. L'irraison,
la violence, le chaos imposent, sur fond de cynisme ou de désenchantement,
leur évidence obscène.
Si bien qu'il faut se retirer, pour comprendre et continuer de lutter, derrière
l'ultime forteresse, là où vivre et penser se révèlent une seule et même chose.
La solidité de cette digue est égale à sa virulence interrogative : quel est, où
est, comment se donne ce reste sauvé du désastre encore capable de me faire
dire «je crois» ? Pareil noyau est à penser toutefois non comme vestige, mais
comme matrice. Croire est, dans toutes les significations, affaire de coeur.
Or, cette enquête se veut classique et n'a de portée qu'à cette condition. Cela
signifie d'abord que ce n'est pas une question d'école, puisqu'elle relève
d'une urgence existentielle partagée. Elle touche chacun d'entre nous au plus
vif. De là aussi la distance prise d'emblée avec le lieu commun qui veut la
croyance forcément jointe au dogme religieux et à des conduites rituelles
ou grégaires. Et si le verbe «croire» commençait dans la manière de se lever
matin, s'il s'amorçait dans cette petite espérance sans nom que dit le courage
d'aller («go !») ? Dieu est-il l'«objet» privilégié, obligé, du croire ?
Enfin, les écrivains et penseurs qu'on appelle au témoignage ont ce goût du
commun - et de la langue, ce commun entre tous - qui les fait ne s'écarter
jamais de l'essentiel souci.
La forme de l'abécédaire permet de visiter librement ces amis de bon conseil
qui, avant nous, ont pratiqué le plus honnêtement le métier de vivre.