Le premier camion n'attendait plus que moi, le reste
femelle était encoigné sous les bâches. Marco n'était
plus Marco au moment de la frontière. Pendant cinq
ans j'ai refusé à ma bouche de le dire en albanais ou
dans la langue du trottoir. Dans toutes les langues
pourries du monde, pendant cinq ans, j'ai pas autorisé
ma bouche à dire que Marco m'avait vendue.
La dernière fois où j'ai eu un corps est l'histoire
tristement banale d'une jeune Albanaise,
trahie, vendue, prostituée.
Dans ce texte violent et sans concession,
Christophe Fourvel réussit la prouesse de
donner la parole à son héroïne, qui nous
conte avec ses mots, ses erreurs et ses
errances, le quotidien de son arrivée en
France, de son inexorable descente en
enfer.
C'est dans cette parole retranscrite, ce
langage uppercut, entre les mots crus et
les approximations poétiques, que la
littérature crée ce miracle de pouvoir
dénoncer l'horreur du monde en cherchant
beauté et bienveillance au fin fond
d'une humanité barbare.
De grâce aussi, il est question dans les
formes de Natalie Lamotte qui rythme le
livre de ses encres rouges hésitant entre
la chair et la fleur.