A la fin du XVIIe siècle, au seuil de la "modernisation" voulue par Pierre le Grand, la société russe nous semble bien énigmatique. Pour tenter de la comprendre, il ne faut ni tomber dans le piège des ressemblances avec les sociétés occidentales, ni succomber à la maladie bien historienne du classement. André Berelowitch évite ces deux écueils de façon magistrale en donnant à l'historiographie française de la Russie une de ses plus belles études. Rompant avec les stéréotypes (influence asiatique, "féodalisme", etc.), analysant au plus près les pratiques, les rituels, l'imaginaire de la noblesse russe, éclairant l'apparente irrationalité des incessantes querelles de préséance qui agitent le monde de la cour, André Berelowitch parvient à faire entrer peu à peu le lecteur dans un univers original, cosmos humain qui se veut reflet du divin. Le sacré est au cœur de la combinatoire des places, attribuées selon des règles à la fois savantes et mobiles. L'honneur, la fidélité, le service des armes n'y ont pas moins de valeur que l'âge, la fonction ou l'ancienneté du clan. Société hiérarchique, qui pourrait bien être restée intacte jusqu'à nos jours, en dépit des vicissitudes d'une histoire tumultueuse.