Qu'est-ce qui peut justifier cette idée, dépourvue de la moindre
évidence, que les êtres humains sont tous égaux et libres ? Certainement
pas, montre-t-on d'abord, les types de justification implicites dans les
théories politiques et morales traditionnelles. Mais alors, comment éviter
la conclusion nihiliste, aussi répugnante qu'apparemment irréfutable, qui
surgit aussitôt ? Ce travail s'articule précisément sur une réfutation des
thèses nihilistes. En s'inspirant librement du modèle de la justification
par la cohérence, il suggère une tout autre interprétation des idées
d'égalité et de liberté, plus modeste, mais aussi beaucoup plus robuste
que les versions courantes. Il essaye en substance de montrer que la
manière la plus solide de justifier la liberté et l'égalité des personnes, c'est,
paradoxalement, de considérer ces idées comme de simples suppositions :
celles que nous devons construire lorsque nous essayons de faire sens
du monde que nous habitons. En effet, nous ne choisissons pas notre
monde, ni même le désir d'en faire un compte-rendu sensé. Et si nous
pouvons le réaménager, c'est uniquement en partant des principes qu'il
nous inspire lorsque nous essayons d'en faire sens. Il y a cependant un
coût à justifier ainsi la liberté et l'égalité. Si la justification a lieu dans
un monde - l'«Injustifiable» qui est la condition de toute justification -,
la guerre, comme l'impossibilité manifeste de toute justification, est
simplement le mode de relation normal entre des mondes différents,
c'est-à-dire entre des mondes dont des principes incompatibles font
sens de la vie de leurs habitants.