La langue russe, la guerre et la révolution
André Mazon (1881-1967), éminent slaviste, spécialiste du russe mais aussi d'autres langues slaves, se trouve durant la Grande Guerre affecté à la mission française en Russie. Arrêté par les bolcheviks en août 1918, il passe plusieurs mois dans les prisons, avant de rentrer en France en 1919. Ce séjour lui permet d'observer de près la façon dont la nouvelle réalité révolutionnaire oeuvre dans la langue russe à travers des argots, des abréviations, des emprunts. En 1920, il publie le Lexique de la guerre et de la révolution en Russie (1914-1918), où l'on trouve une réflexion pionnière sur les articulations entre les faits sociaux et politiques d'une part, les faits linguistiques de l'autre. Cette étude connaît un retentissement certain dans le milieu des linguistes : parmi les quatre recensions identifiées à ce jour, celle de Roman Jakobson est sans conteste la plus complète. Écrite en tchèque, sous le titre L'influence de la révolution sur la langue russe, elle constitue une étude propre du chercheur, prenant appui sur la publication de Mazon. Nous la proposons ici dans une traduction inédite de Stéphanie Cirac.
Ces deux textes, qui reflètent les approches linguistiques parfois divergentes de savants appartenant à deux générations différentes, n'ont rien perdu de leur actualité. Ils constituent, grâce aux introductions de Catherine Depretto et de Sylvie Archaimbault, une lecture passionnante, non seulement pour les spécialistes du domaine mais pour tous ceux qui s'intéressent aux espaces centre-européen et russe, voire, plus largement, à l'histoire politique et culturelle du XXe siècle. En effet, on comprend à partir de leur dialogue comment la violence de la guerre se diffuse à travers le langage pour revivre dans les différentes phases de la révolution et au-delà.