L'homme romantique ouvre le livre de la Nature. Balzac y voit une coupure esthétique : le passage d'une littérature des Idées (qui au XVIIIe siècle chercha le bonheur social) à une littérature des Images qui cherche Dieu dans la Nature. Mais l'y trouve- t-elle ? Les dieux défilent devant les regards de Chateaubriand, Lamartine, Hugo, Leconte de Lisle, Baudelaire : Dieu chrétien, Dieu de Rousseau, grand Pan de retour, le « divin néant » du Bouddha, avec finalement, toujours, la terreur d'un vide immense. Certains (Flaubert, Verlaine) s'en consolent en renonçant à la Surnature pour s'émerveiller devant le monde sensible. D'autres encore (Hoffmann, Rimbaud, Laforgue), voyants hallucinés, inventent leur surréalité fantastique à défaut de posséder un merveilleux divin. Au XIXe siècle s'est jouée notre destinée d'Européens modernes, dans la déliquescence du sentiment religieux. Il nous faut désormais avancer sans catéchisme, conclut Renan. C'est cette histoire inquiète que je raconte, à travers la littérature, surtout française, quelquefois allemande, en prose comme en poésie, mais aussi parfois la peinture, et même la musique, avec Franz Schubert. L'histoire culturelle ne prend pas ici la forme d'une histoire des idées : elle procède de la poétique des oeuvres, de leur microlecture.
Il apparaît alors que la littérature des Images constitue aussi une grande coupure dans notre imaginaire du langage. Comment transcrire le livre de la Nature ? Comment dire le corps dans le monde sensible ? Comment rapporter les visions fantastiques ? Par-delà les plaintes sur l'indicible, l'écrivain découvre que le langage est bien davantage qu'un instrument plus ou moins efficace : il est notre sixième sens, grâce auquel le monde nous apparaît. L'Européen du XIXe siècle perd peut-être Dieu, il retrouve le Verbe.