Comme tant d'autres, je me veux sorti du peuple, surgi des ronces et des illettrés. Comme tant d'autres avant moi, j'ai souffert dans ma passion de poète. Un poète qui ne souffre pas, qui n'assume pas, qui ne se sent pas menacé dans les pays perdus qui sont les siens, est un voyou. Il est vrai que pour moi la poésie n'a jamais cessé d'être un combat contre l'obscur. Un combat noir qui demande pas mal de courage et d'inconscience. Pour s'épouser royalement, disons jusqu'au vertige, les mots exigent une présence totale, une plus haute respiration, un gouvernement de soi-même qui ne manque pas d'osciller entre l'équilibre des astres et le dérèglement de tous les sens - dérèglement raisonné - prôné, prophétisé par l'enfant de Charleville.
N'eussé-je pas eu la poésie, que je fusse devenu un bien pauvre homme avec au bout du chemin un bout de ruban et la retraite des cadres. Mais le besoin de bondir, de chanter, de vibrer, d'espérer, de faire de ma vie quelque chose de pas trop indigne de mon idéal, m'a jeté dans des aventures plus secrètes, plus voilées, mais non moins réelles les unes que les autres. La poésie, qu'on me croie ou qu'on me démente, n'est pas un jeu de société, mais une façon d'être soi-même en face de soi-même avec quelque chose de son cadavre sur les bras. C'est en ceci qu'elle fait peur.
Charles Le Quintrec