Là où, dans le passé, le réconfort était cherché - et parfois trouvé - dans une moralité ou une religion commune, l'individu déraciné n'a plus que le droit comme éphémère instrument pour piloter la complexité différentielle de sa société. Cet instrument ne peut plus se référer à une quelconque base ou morale uniforme sous-jacente sur laquelle pourrait se fonder le respect de la justice et des lois.
Bien au contraire, le droit manque, à l'appui de son fonctionnement, d'un fondement qui inciterait les gens à se résigner à une règle ou à un règlement qui s'oppose à leurs convictions. Pourquoi devrions-nous accepter des normes juridiques, même sous peine d'être punis, si aucune valeur plus profonde ne sous-tend les règles de droit ? Serait-ce parce que l'homme, en tant qu'être moral, immoral ou même amoral, est pourvu malgré tout d'une forme de conscience juridique ? Depuis le Siècle des Lumières, la raison comme faculté universelle, par laquelle nous nous adressons les uns aux autres et nous nous incitons mutuellement à comprendre et à accepter les points de vue d'autrui, a été invoquée comme substitut procédural au fondement sous-jacent du modèle de valeurs partagées, de la morale communautaire uniforme, qui fait défaut depuis longtemps à notre société multi-individuelle et que celle-ci ne peut apparemment jamais (re)trouver.