Quand le mot «culture» comprend les traditions, les modes de vie et les mémoires comme des valeurs plutôt que comme des faits, il s'y attache une responsabilité spécifique: celle de leur présentation ou langage public de leur communicabilité. Il est assurément naïf de croire qu'un nationalisme esthétique pourrait prendre la place du nationalisme belliciste, alors que le contenu sensible et affectif des identifications communautaires contribue, au contraire, à nourrir les ressentiments et les haines qui bellicisent les relations politiques. Toutefois, la distinction faite par la philosophie critique entre le schème et le symbole, c'est-à-dire entre le conditionnement et l'inspiration, tient en réserve un type d'action culturelle qui serait en mesure de conférer aux langages des cultures une légitimité relationnelle universelle, à l'opposé des schématismes qui jouent la lettre d'une identité contre l'esprit d'une culture.
Quand l'expression de soi, qu'elle soit religieuse ou artistique, choisit la voie de la domination, elle se sert des moyens de pression politiques et médiatiques pour faire la preuve de son pouvoir d'influencer et de contraindre. Quand, en revanche, elle se prête à la traduction de soi, elle élève ses ressources symboliques jusqu'au pouvoir d'inspirer et contribue ainsi à la formation d'un monde possible, monde de signes qui a besoin d'interprètes plutôt que de partisans.