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On sait quelle oeuvre pionnière a accomplie la Révolution française en établissant une stricte égalité juridique entre tous les hommes, en donnant aux protestants et aux Juifs la totalité de leurs droits civiques, et le Code civil, promulgué en 1804 par le Premier Consul, passe pour avoir consolidé à jamais ces principes. En ce qui concerne les Juifs, pourtant, c'était sans compter sur les préjugés très prononcés de l'Empereur conseillé par les penseurs catholiques réactionnaires comme Bonald.
Ne se met-il pas en tête, en effet, de convoquer une assemblée de « notables » à qui il enjoint de former un « Grand Sanhédrin » qui se réunit il y a deux siècles, en février 1807, et désignera un Consistoire central, bref des interlocuteurs plus faciles à surveiller auxquels il entend imposer des mesures discriminatrices concernant le mariage, la conscription, la liberté d'aller et de venir ou encore celle de s'établir ? Voilà une entorse de taille aux principes de 89 : les intéressés, feignant de l'ignorer, s'en tiennent au Code civil, désireux qu'ils sont de se conformer seulement à la « loi du pays » qui doit régir de la même manière tous les citoyens. Ils font même assaut d'éloges et célèbrent sans rire… la Saint-Napoléon ou chantent, dans d'innombrables poèmes et odes, la gloire impérissable de l'Aigle dont les ailes sont supposées les protéger.
Mais l'Empereur ne s'arrête pas là. Par une série de décrets pris, en mars 1808, à l'instigation des franges les plus réactionnaires, il leur impose des restrictions juridiques allant à l'encontre de la loi commune, qui dénotent une franche hostilité à l'endroit de ceux qu'il qualifie de « sauterelles », de « corbeaux » ou de « nouveaux féodaux » et autres amabilités qui feront, tout au long du xixe siècle et jusqu'à Vichy, les délices des pamphlétaires antisémites.
Ce qui est surprenant - réconfortant aussi - c'est d'observer que le haut personnel administratif de l'État (Conseil d'État, préfets…) traîne les pieds, voire s'oppose franchement, avec un courage admirable, au « décret infâme » ; c'est probablement même la seule défaite politique interne que l'Empereur ait dû essuyer.