Le canevas sans visage
« Léona voudrait bien crever les nuages à coups d'aiguille, mais les demi-points de coton qu'elle multiplie sur la toile ne font qu'alourdir le couvercle du ciel. L'ancienne infirmière étouffe dans sa petite cuisine. »
Elle n'est pas commode, cette Léona de 66 ans qui brode, demi-point par demi-point, un portrait de mineur ; icône des foyers miniers des années 1970. Cette femme brutale et sans tabou plonge l'aiguille dans le canevas avec bien plus de délicatesse que quand, infirmière, elle piquait les patients de l'odieux docteur Caudron, son ancien amant. Lui qui, 25 ans plus tard, vient toujours chez elle, chaque mercredi, se vanter de ses nouvelles conquêtes.
Et pendant que la broderie avance, surgissent les souvenirs d'enfance, l'âpre monde des mineurs, et les hommes d'une vie - père besogneux, mari taiseux, vaurien de fils, amants prédateurs.
Littérature du détail, épopée d'un réel sans douceur, le récit de Patrick Varetz porte la voix râpeuse d'une lutteuse abîmée, mais sur le point de s'émanciper et de conquérir sa part d'humanité.