«Je souscris à la résolution de Lautréamont : «Je n'écrirai pas
des mémoires». Je n'ai pas le goût des confessions, elles offrent trop
de gages à un spectacle où ma démarche même renierait son propos.
Je n'ai en revanche aucune raison de dissimuler l'attrait qu'a
toujours exercé sur moi la tentative de Montaigne de se peindre sur
le vif en dépit des couleurs que le monde lui imposait. N'ayant écrit
qu'un seul livre, sans cesse récrit, complété, corrigé selon la
facture qu'empruntaient les bouleversements de la société et,
inséparablement, les variations de mon existence, je me sens
en narquoise familiarité avec lui.
Chacun de mes livres traduit le progrès, si incertain qu'il soit,
d'une conscience en peine de dénouer les fils enchevêtrés d'une
destinée, dont j'aspire à régler le cours. Si mon analyse se fonde
sur des éléments personnels, ce n'est pas pour en tirer valeur
d'exemple, c'est pour tenter d'éclairer un dernier voyage comme
s'il dût, envers et contre tout, être encore le premier ; c'est pour
aviver, dans un refus de ce qui doit finir, une volonté, sinon de tout
recommencer, du moins d'ouvrir des portes demeurées fermées
ou entrouvertes par crainte.
Ce désordre d'émotions et de pensées, j'ai choisi de l'aborder
par le biais des passions auxquelles je demeure le plus attaché :
l'amour, l'amitié, la volonté de vivre, l'aventure labyrinthique de la
destinée, l'alchimie du désir, la sensibilité, l'animalité, le bonheur,
la poésie ; et à travers ce qui les corrompt : la peur, l'argent, la présomption
de l'esprit.
Mon questionnement est sans réponses, mais j'ai, au plus profond
de mes doutes, quelques certitudes. Peut-être est-ce suffisant au
coeur d'une époque qui, présentant comme nulle autre pareille les
symptômes d'un pourrissement universel, cherche, au crible de
ses désillusions, les signes d'une civilisation humaine qui tente
maladroitement et naïvement de s'instaurer.»