En posant d'une façon stricte l'irréductibilité des rapports
entre la foi et la politique, le christianisme a transformé
l'ancien principe de légitimation du pouvoir. Désormais,
l'autorité politique n'est plus absolue - Dieu et l'ordre
politique ne peuvent être placés sur un même plan.
L'attente eschatologique qui habite les chrétiens écarte
le danger d'une soumission excessive au politique. La
formule contenue dans L'épître à Diognète : «Les chrétiens
âmes du monde», revêt alors un sens particulièrement fort :
les chrétiens sont là pour garder le monde et faire de lui le
lieu de l'accomplissement de la vie humaine dans toute sa
dimension personnelle. La naissance du christianisme s'est
accomplie dans le cadre des institutions et des valeurs de
la Rome antique. Cette histoire est providentielle. Elle
trace les conditions de la construction d'une morale de
la citoyenneté qui ne s'édifie pas sur un refus du monde
sectaire mais sur la nécessité d'une séparation autrement
plus exigeante. Les chrétiens ont l'obligation morale de
concourir à l'édification progressive d'une société meilleure
et plus juste - pour eux la préfiguration de la Cité céleste à
venir. Obligation sans cesse à maintenir contre tout ce qui
lui fait obstacle. De ce fait, la foi remet toujours le monde
et ses valeurs propres en question. Elle dicte à la conscience
l'obligation de tracer, le plus rigoureusement possible,
les termes du débat dans lequel doit s'inscrire l'adhésion
ou le refus du politique, et par là même l'engagement dans
la citoyenneté.